Je levai les yeux rapidement, juste le temps de ne pas rater la première marche du perron. La volée qui venait ensuite suivait naturellement et je pouvais me replonger dans ma lecture. Il ne me restait que quelques pages et j’avais pour ambition de les achever durant le trajet qui me séparait encore de la bibliothèque. Les journées sans cours étaient toujours pour moi l’occasion de profiter des avantages qu’il y a à posséder une carte de bibliothèque à l’université. C’était sans doute le premier endroit que j’avais visité sur le campus après mon inscription et devant les rayonnages qui étalaient devant mes yeux ébahis tous les ouvrages possibles, je m’étais fait la promesse d’en lire le plus possible durant les trois ans que je devais passer entre ces murs.

J’étais de ces êtres étranges qui passent leurs journées dans les bouquins et qui retiennent absolument tout ce qu’ils lisent. Et tous les domaines avaient un intérêt à mes yeux. Je dévorais un ouvrage scientifique comme je pouvais savourer un roman ou me perdre dans les méandres d’un traité d’Histoire. Il m’était arrivé plus d’une fois de fermer un essai littéraire pour embrayer sur un abrégé de physique quantique avant de terminer par une étude affinée des fresques de la chapelle Sixtine. Ma soif de connaissance était sans limite et je trouvais toujours quelque chose de nouveau à me mettre sous la dent.

J’étais à cet instant en train d’achever le cinquième tome d’une aventure épique inspirée des légendes arthuriennes et la mystérieuse Dame du lac retenait bien plus mon attention que ce qui se passait autour de moi. Certes mes yeux enregistraient fugacement quelques détails de mon environnement comme ces marches que j’étais en train de gravir. Mais je ne laissais qu’une toute petite part de mon esprit disponible pour les interpréter. Juste assez pour ne pas trébucher mais trop peu pour éviter la collision.

Car il y eu collision et ces pages qui absorbaient tant ma concentration se retrouvèrent soudainement projetées au sol à cause du choc. Il me fallut quelques instants pour me remettre de ma surprise et pour que mon cerveau m’informe de façon claire de ce qui venait de se passer. La douleur à ma tempe fut sans aucun doute la première information à me parvenir précisément. Tandis que je m’accroupissais pour ramasser mon livre d’une main, je portai la seconde à mon front endolori pour le masser légèrement.

Dans cette position, la première chose que je vis de l’obstacle que je venais de heurter, fut une paire de jolis escarpins noirs qui enveloppaient tel un écrin les pieds d’une demoiselle. Tandis que je me relevais, mon regard remonta le long d’un jean parfaitement coupé qui ne pouvait mettre qu’en valeur les jambes de celle qui le portait. Rien à voir avec celui que l’arborais, si usé d’avoir été porté qu’on aurait pu se demander s’il avait été neuf un jour. Mes yeux poursuivirent leur ascension pour découvrir un sous pull de couleur framboise dont la classe n’avait d’égal que sa simplicité. Moi qui ne prêtais habituellement aucune attention à ces détails que je jugeais futiles, j’eux honte de ma chemise froissée et de ma veste blanchie aux coudes.

Je me redressai alors tout à fait pour faire face à celle qui en quelques secondes venait de me faire complètement oublier la Dame du Lac. En dépit de la grimace qu’elle esquissait, les traits fins de son visage, habillement soulignés par un savant maquillage, inspiraient à la fois douceur et force de caractère. Une cascade de cheveux blonds venait illuminer harmonieusement cet ensemble délicat. Ce genre de considérations de ma part m’étonna grandement, mais je n’eus pas le temps de m’interroger sur la cause d’un tel émoi car la belle ouvrit les yeux. Une fraction de seconde qui me parut une éternité, je me perdis dans ces iris aussi verts que les miens étaient bleus. Puis, sortant aussitôt de ma torpeur, je pris la parole, confus et désolé.

- Est-ce que ça va ? Je suis navré, je devrais plus regarder où je vais.